Le groupe « Signes de foi », lors de la célébration « Ouvrir le Livre » à la Cathédrale de Bruxelles, en novembre 2006.
Effata
Cet article est une réalisation collective de l’Équipe «Signes de Foi».
En italiques dans le texte, vous trouverez des remarques personnelles de personnes vivant chaque jour dans le monde du silence qu’est la déficience auditive ou qui le rencontrent dans leur apostolat. Puisse la lecture vous offrir un autre regard sur la surdité.
Effata, ouvre-toi ! » Nous connaissons tous ce mot araméen prononcé par jésus quand il guérit le sourd-muet (Marc 7,34). Les homélies qui suivent cet évangile nous ont toujours invités à ouvrir nos oreilles à la parole de Dieu, supposant ainsi que notre surdité physique ne nous empêche pas de recevoir cette parole de Dieu.
Nous n’avons jamais entendu d’homélie insistant sur la réalité de la surdité physique. On peut comprendre que dans notre monde essentiellement basé sur la communication, l’Église privilégie la modalité orale pour ceux qui perçoivent les sons et la langue écrite pour ceux qui maîtrisent la lecture. Que doivent penser alors les personnes sourdes ou malentendantes murées dans le silence, une autre réalité difficile à vivre ?
Il y a différentes catégories de surdité. La première représente les personnes qui subissent une déficience auditive, suite à une maladie, un traumatisme ou encore par le vieillissement. Ces personnes gardent l’usage de la parole et les appareils auditifs, amplificateurs, implants, boucle d’induction magnétique, etc.. leur sont d’une grande utilité. En Belgique, cela représente environ huit cent mille individus atteints à des degrés divers. L’acceptation de la déficience auditive est, toujours très pénible et l’on reporte souvent à plus tard, la décision de consulter le corps médical. On attribue au mot «sourd» une connotation péjorative et c’est pourquoi on utilise le terme «malentendant» pour ces personnes. Le nombre de déficients auditifs en Belgique atteint près de l sur 10. Imaginez donc que dans une assemblée dominicale de 250 fidèles, il y en a au moins 20 qui ne recevront que partiellement la parole de Dieu. Pour les aider à mieux comprendre, l’installation dans nos églises d’une boucle d’induction magnétique leur serait très utile’ .
La deuxième catégorie est constituée de personnes sourdes profondes, souvent depuis la naissance, dont le degré de surdité est tel que les appareils ne peuvent pas compenser, ou alors très partiellement, le handicap. Pour elles, la communication passe souvent par l’usage de la langue des signes, la lecture labiale et/ou écrite. N’ayant jamais entendu, ces personnes présentent une locution plus laborieuse et parfois difficilement compréhensible. Cette catégorie représente environ dix mille personnes dans le pays.
Il est très difficile de comprendre la surdité : Je suis né de parents sourds profonds et j’ai deux frères sourds de naissance, je croyais bien connaître le problème de la surdité mais il a fallu que je devienne sourd moi-même pour en ressentir toute la difficulté et accepter ce handicap. Et encore, ma parole, mon raisonnement, seront toujours différents de ceux d’un sourd profond.
Venons-en au thème « Parole et silence ». Si le terme silence peut être compris par la première catégorie des personnes ayant entendu, les sourds profonds ne peuvent absolument pas l’imaginer. De même la parole a, pour eux, une toute autre signification.
Participer à une cérémonie religieuse exige de la part des déficients auditifs une grande motivation. L’acoustique est souvent défectueuse dans les églises et la compréhension demande une attention soutenue. À fortiori quand l’audition est presque nulle.
La langue des signes est une langue spéciale, surtout concrète. Toute expression gestuelle a une origine symbolique qui subit lors de son utilisation des transformations l’éloignant du concept original. L’interprète d’un texte biblique en langue des signes est confronté à une double difficulté : celle de bien comprendre la symbolique du mot religieux pour l’adapter ensuite à l’expression gestuelle. Notons ici que la Bible n’est pas un livre historique mais un enseignement évolutif. Par exemple dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau Testament il y a plusieurs images de Dieu dont on n’arrête pas de dire qu’il « parle ». Or, aucun prêtre en Belgique ne maîtrise parfaitement la langue des signes. Comment l’Église peut-elle alors communiquer la parole de Dieu aux personnes sourdes et malentendantes ?
La paroisse de la Sainte-Famille à Woluwe-Saint-Lambert a bien accueilli le groupe « Signes de Foi». Elle a installé une boucle d’induction magnétique et s’efforce d’intégrer la communauté des sourds dans ses activités. « Signes de Foi » interprète régulièrement en langue de signes des célébrations : eucharisties, baptêmes, mariages, sacrement des malades, funérailles, etc..
Depuis l’année dernière, « Signes de Foi » a pris en charge la préparation à la profession de foi de sept jeunes : J’ai vu la pureté et la transparence des enfants rejoints par la vérité de ce qu’ils voyaient, interprétée à la messe. Lors d’une intention : « Nous avons parlé de Dieu qui se propose d’être mon ami, un ami pour chacun », j’ai signé cette intention en observant les jeunes de l’autre côté dans l’église, et j’ai vu l’une d’entre eux réagir en faisant de la tête «oui, c’est vrai !» Quel témoignage pour ceux qui l’ont vue et surtout pour moi. Elle avait rencontré Dieu à ce moment-là.
« Signes de Foi » a contribué à l’édition d’un « Lexique des signes religieux » qui, d’une part, tend à unifier les signes religieux en Belgique francophone mais se veut surtout un témoignage de foi. De fait, nous avons souvent été interpellés par des gens ne connaissant pas la langue de signes, et qui, après avoir vu nos interprétations, nous ont dit combien nos expressions les avaient aidés à mieux prier. Cela nous conforte dans notre opinion que la prière ne doit pas être seulement orale. Selon Saint Augustin, qui chante bien, prie deux fois, c’est prier de tout son cœur. Qui signe bien prie trois fois, c’est signer juste et c’est prier de tout son cœur et de tout son corps.
Professer notre foi, c’est bien l’objectif que poursuit « Signes de Foi », en contribuant à la compréhension mutuelle de celles et ceux qui, sans la langue des signes, resteraient dans l’ignorance de ce qui les rassemble. j’ai pu voir combien Maman a retrouvé avec plaisir le chemin de l’Église, elle n’y allait plus qu’avec des pieds de plomb et maintenant elle sent que Dieu lui parle dans sa propre langue.
C’est pourquoi la langue des signes doit pouvoir s’inscrire sans discrimination dans la mosaïque des différentes langues de l’humanité. Rappelons-nous que l’Esprit Saint souffle où il veut et qu’il a permis aux apôtres de s’adresser à une foule représentant toutes sortes de nations, chacune recevant le même message dans sa propre langue. C’est à cette communication enrichissante que la langue des signes donne accès, en rétablissant dans leur dignité d’interlocuteurs valables des personnes qui, autrefois, étaient rejetées par la société.
Notre Dieu incarné ne peut que se réjouir de voir cette gestuelle, exploitant les ressources du corps humain, exprimer à la place des sons la même parole divine. La Parole de Dieu me rejoint à travers l’expression de mon propre corps.
C’est là le message de la bonne nouvelle que nous voulons partager avec tous nos frères et sœurs en Christ.
L’Équipe « Signes de Foi »